Dans Rouge cette semaine: Interview de Philippe Castel, Vaincre les homophobies

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Conseiller principal d’éducation, Philippe Castel est secrétaire national du Snes-FSU, en charge du secteur Droits et libertés. À la FSU, il coordonne le groupe de lutte contre les phobies des LGBT1.

 

 


Un an après l’élection de Sarkozy, le retour à l’ordre moral a-t-il des répercussions sur l’homophobie ambiante ?Ce retour à l’ordre moral est plus ancien. Je préfère parler de tensions conservatrices. Ces tensions bousculent les lignes politiques : on a vu des personnalités de droite, peu j’en conviens, défendre la possibilité de se marier ou d’adopter pour les couples homosexuels, quand d’autres, à gauche, se faisaient tirer l’oreille pour accepter une telle idée. L’attitude caricaturale des parlementaires de droite, en 1999, au moment du vote de la loi créant le Pacs, n’est plus à l’ordre du jour, même s’il reste à convaincre certains que l’orientation homosexuelle n’est pas une menace pour l’humanité. Je ne suis pas sûr que ces pressions morales menacent aujourd’hui en priorité l’homosexualité : il me semble que pèsent sur les femmes et leur droit à disposer de leur corps des menaces au moins aussi graves. Enfin, la libéralisation des mœurs peut parfaitement s’accorder avec le libéralisme économique le plus débridé.

Philippe Castel –

 


La France est plutôt rétrograde en matière d’égalité des droits. Y a-t-il, au niveau des mouvements homosexuels en Europe, des convergences et des actions communes possibles ?Il y a des convergences entre les associations LGBT. Par exemple, à travers la section européenne de l’International Lesbian and Gay Association (Ilga), qui vient d’ailleurs de jouer un rôle notable pour l’introduction de la discrimination liée à l’orientation sexuelle dans la dernière directive européenne sur les discriminations. Mais il y a également des convergences entre d’autres acteurs du mouvement social, qui ont pris à cœur la défense des droits des LGBT et la lutte contre les discriminations qui les frappent. Ainsi, au niveau des syndicats, il n’est pas rare de voir leurs regroupements européens ou internationaux prendre position sur ces questions. Maintenant, la question est surtout de voir comment soutenir les revendications des homosexuels dans les pays où ils et elles sont persécutés.

P. Castel

 


Tu travailles dans l’Éducation nationale. Penses-tu que les préjugés homophobes sont aussi importants dans la jeunesse que dans les autres couches de la société ?J’aurais tendance à penser que la jeunesse d’aujourd’hui est moins homophobe que celle d’hier, et moins que ses aînés. Un certain nombre de signes abondent en ce sens, à commencer par les sondages, y compris quand il s’agit de mariage ou d’homoparentalité. Cela ne signifie pas qu’il n’y a plus de préjugés homophobes parmi les jeunes : en y regardant de plus près, on s’aperçoit que tout dépend de l’âge des jeunes en question et de leur origine sociale. Il est incontestable que les collégiens sont moins ouverts que les lycéens en ces domaines. La raison en est probablement que la construction identitaire des adolescents, entre 12 et 16 ans, se fait principalement autour de la notion de genre et des normes à respecter pour se conformer au genre auquel on appartient. Voire par des comportements ostentatoires à mettre en œuvre pour réduire tout doute sur ce point. La pression de la société est très forte en ce sens.

P. Castel

 


Dans l’Éducation nationale, quelles sont les revendications à mettre en avant afin de lutter contre l’homophobie ?La chose à mettre absolument en avant n’est pas anormale, elle est seulement minoritaire. Ce n’est pas une maladie. En parler, même à l’école, ne va pas faire de nos élèves des lesbiennes et des gays. Ensuite, il faut dire que l’orientation sexuelle n’est pas l’alpha et l’oméga de la construction d’un individu, et qu’il est temps de cesser de considérer qu’un homosexuel se réduit à sa sexualité. La personnalité humaine est bien plus riche, et il est bien dommage de ne la réduire qu’à cela. Enfin, l’homosexualité et la bisexualité font partie des composantes possibles de la sexualité humaine et cela ne doit pas poser problème, pas plus que la revendication des transsexuels ou des transgenres d’être reconnus et entendus dans leur refus de se conformer à l’assignation de genre qui leur a été imposée.

P. Castel

 


Tu batailles pour que ta fédération syndicale fasse de ce combat une question importante. Quels sont les progrès et les résistances ?Le plus difficile est parfois de convaincre que cette question est aussi syndicale. Si l’on raisonne à courte vue, l’égalité en matière sociale semble parfois sacrifiée sur l’autel de la lutte contre les discriminations, et on peut comprendre l’agacement suscité parfois quand les inégalités sociales, salariales, financières ne semblent plus tellement remises en question, y compris par certains partis qui se revendiquent de gauche. Mais le combat pour l’égalité et la justice sociale ne saurait accepter que des individus puissent être discriminés, stigmatisés, exclus de l’égalité des droits simplement du fait de leur différence et de leur statut minoritaire.

P. Castel

 


À ta connaissance, ce type de problématique se pose-t-il dans d’autres organisations syndicales ? Oui, c’est le cas dorénavant dans la plupart des grandes centrales. Tout simplement parce qu’elles syndiquent des personnels qui ont pu avoir à souffrir des discriminations dans leur carrière et qui tiennent à ce que leur organisation syndicale prenne cela en compte.

P. Castel

 


Dans le combat contre l’homophobie, qu’attends-tu des partis politiques se revendiquant de l’émancipation ?J’attends d’eux, au-delà d’un discours, qu’ils mettent en œuvre en leur sein une pédagogie du respect, car c’est par l’éducation de chacun et de tous que l’on parviendra à rendre insignifiantes et banales les différences, pour n’en retenir que la richesse de la diversité. J’attends d’eux qu’ils fassent réfléchir leurs électeurs aux questions de genre, à la construction sociale du genre, aux stéréotypes de genre, et à une véritable libération sexuelle où la satisfaction des désirs soit poursuivie dans la réciprocité, sans domination d’un sexe sur un autre, et où la sexualité soit libérée des désirs de possession et d’exclusivité. 

P. Castel

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Bernard Galin

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